Personal stories

Histoires de Pondichéry

Cette fois, on décolle pour Pondichéry, ancien comptoir colonial français. C’est là que tout commence pour moi finalement…

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Je parle peu d’identité de manière franche sur ce blog – les allusions y sont subtiles : des dessins sur la culture tamoule, mais aussi sur mes voyages, mon quotidien… En fait, si on ne me connaissait pas, on comprendrait que je suis une “citoyenne du monde”, ou encore que je suis “cosmopolite”. Effectivement, c’est comme ça qu’on peut me définir, et je préfère que l’on me voit comme ça !

J’ai eu la chance de grandir en France, où j’ai eu accès à la santé, à l’éducation, à la liberté. Et en y réfléchissant, il a fallu que mon grand-père naisse et vive dans un comptoir colonial pour que je puisse avoir la chance de vivre comme je vis actuellement, ici en France.

Dans le contexte actuel, il me semble essentiel de nous rappeler que l’immigration a des histoires. Toute migration a une raison, et toute raison a un contexte. Issue de la seconde génération d’immigrés tamouls en France, je ressens le besoin de me plonger au commencement – ici, c’est selon moi le lien entre l’ancien comptoir français de Pondichéry et moi. C’est un comptoir d’où vient la grande majorité de la diaspora tamoule indienne de France, ayant obtenu la nationalité par le droit du sol.

Petite histoire des parents de mon père, ou plutôt, ce que je sais d’eux.

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Mon père est né dans le village de Nadukandagyudy, dans le taluk (district) de Nannilame. Mon grand-père s’appelait Subramanian et ma grand-mère Vassoudévi. Ma grand-mère n’avait que 16 ans lorsqu’elle s’est mariée, et a eu mon père à 19 ans.

La famille a longtemps vécu à Pondichéry. Une partie de ma famille y vit encore, et une autre vit a Nadukandangyudy, le berceau familial.

Mon père était le troisième d’une famille (très) nombreuse de 8 enfants. Il s’est vite retrouvé “aîné” de la fratrie : l’aîné est décédé en bas-âge, et sa grande-soeur a succombé d’une crise d’épilepsie.

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De mon grand-père, je ne sais finalement que très peu de choses. Né dans le comptoir de Karaikal, il était issu de la caste des orfèvres et était gardien de l’ancien phare de Pondichéry. Sa mère est morte à sa naissance, son père a disparu (littéralement) à ses 19 ans. Il avait deux grandes soeurs. Mon grand-père avait tout de même obtenu son Bac de français. Mon père me disait qu’il était très colérique et qu’il n’était pas toujours très tendre avec sa femme.

Il était donc gardien du phare, et mon père nous disait qu’il avait l’habitude de s’y rendre les midis ou tard dans la nuit pour lui apporter à manger, dans un dapawaala. Il fallait monter la tour, pleine d’escaliers, puis la redescendre.

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Ma grand-mère, Vassoudévi, était la dernière d’une famille de 12 enfants. En plus de ça, elle était la seule fille de la tribu ! Ma mère me dit d’elle qu’elle était grande, belle, sûre d’elle avec ses boucles sur le front et qu’elle faisait peur. Mon père me disait qu’elle adorait le cinéma et qu’elle était parfois prête à revendre quelques kilos de riz pour s’acheter des places et y aller pendant que mon grand-père était au phare.

Je ne l’ai jamais connue, comme je n’ai pas de souvenirs de mon grand-père. Tous les deux m’ont laissé ce lien diffus avec l’ancien comptoir colonial. En fait, et c’est là que l’histoire commence pour mon père, c’est que c’est une suite de tragédies familiales qui vont le pousser à l’exil.

Sa soeur aînée, âgée de 26 ans, décède d’une crise d’épilepsie. Suite à cela, ma grand-mère sombre dans l’alcool et décède quelques mois plus tard, ne supportant pas la douleur liée à la perte de sa fille aînée.
Mon père part alors en France pour subvenir aux besoins de ses frères et soeurs.

Mon grand-père tient le coup, mon père aussi, mais une fois à la retraite, mon grand-père connaît une mésaventure. Entre le moment où il travaillait au phare et le moment où il part à la retraite, l’Inde devient indépendante et Pondichéry devient un territoire du pays, avec une gestion qui ne dépend plus du gouvernement français.
Mais malheureusement, les gouvernements français et indiens ne savent pas comment gérer le dossier et mon grand-père ne touchera finalement jamais de retraite pour le travail effectué toutes ces années. Il se met alors, dans sa folie, à répéter sans cesse “mais qu’est-ce que je vais faire ?”.
Dépendant, ses fils encore en Inde s’occupent de lui au quotidien, et mon père, depuis la France, envoie une partie de ses revenus régulièrement pour les aider. Il décède dans les années 1990, lorsque j’ai 4 ans. Je me souviens encore de la douleur de mon père et de sa culpabilité de ne pas s’être rendu en Inde plus tôt, faute de moyens.

Aujourd’hui, le phare de Pondichéry n’est plus utilisé, mais il fait désormais partie du patrimoine de la ville. Je pense que j’irai le voir la prochaine fois – il me laissera sans doute un goût amer, autant qu’il me rapprochera de mon grand-père.

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Cette “story” ajoute encore un peu plus de contexte à mes questionnements sur mon identité. Je ne me sens pas entièrement tamoule, ni entièrement française – le pire serait de choisir. Je me raconte peu à peu, avec des dessins, je trouve qu’ils m’aident à y voir plus clair et à aller à l’essentiel. J’espère aussi qu’ils permettent de mieux comprendre l’histoire et le destin de ceux qui choisissent de partir, de ne pas oublier, car finalement c’est de cela qu’il s’agit : de mieux nous comprendre nous, enfants d’immigrés, en ces temps troublés. Ne pas oublier et mieux nous comprendre pour ne pas tomber nous-mêmes dans des extrêmes – nationalisme et communautarisme.

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N’hésitez pas à me dire ce que vous en pensez, si le sujet vous intéresse et si mes dessins répondent à des questionnements que vous avez autour de votre identité. J’ai un projet en tête qui va en ce sens 🙂

J.

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4 Comments

  1. Hello Jody

    C’est vraiment très bien ! Les dessins sont superbes et le texte de bonne qualité ! On a hâte de lire la suite !

    Clara
    (j’ai pas tellement l’habitude de laisser des commentaires donc j’espère que cela convient 😉)

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